Noir Concept est allé à la rencontre de Maliza Kiasuwa, artiste plasticienne qui s’est récemment fait remarquer à la foire d’art contemporain africain de Paris, Also Known As Africa (AKAA), où elle était représentée par la galerie Foreign Agent de Lausanne en Suisse. Après un long séjour au Kenya, Maliza est revenue s’installer depuis peu à Bruxelles où elle enchaîne les résidences de création.
Maliza Kiasuwa - "Equilibre instable"
NC - 1. Qui êtes-vous Maliza Kiasuwa ?
MK - Je suis d’origine à la fois congolaise par mon père et roumaine par ma mère. Je suis née à Bucarest et j’ai vécu dans plusieurs endroits du monde. J’ai notamment passé plusieurs années de ma vie au Kenya. Avant de me lancer comme artiste, j’ai travaillé pour une organisation humanitaire, étant de formation infirmière urgentiste. Mon expérience professionnelle m’a permis de beaucoup voyager.
J’ai eu à travailler dans des contextes difficiles où j’ai côtoyé la mort, la souffrance mais aussi la joie, l’espoir et cela m’a façonné. Lors de ma dernière mission au Soudan, j’étais assez fâché avec l’être humain et avec le travail dit humanitaire parce que j’ai eu l’impression que la présence d’humanitaires déclenchait des besoins qui n’étaient pas forcément nécessaires ou vitaux. J’ai souhaité faire une pause dans ma vie professionnelle et j’ai commencé à créer des œuvres lorsque j’étais installée au Kenya.
NC - 2. Comment passe-t-on du métier d’infirmière à celui d’artiste plasticienne ?
MK - J’ai été portée très tôt sur des activités créatives comme la couture ou le collage. J’ai été attirée par l’art depuis que j’ai su tenir un crayon en main. J’ai toujours aimé manipuler les matières comme le textile et d’autres objets du quotidien comme les chambres à air que l’on trouve partout au Kenya par exemple. Pour faire le lien entre ces deux activités, je dirais que je suis animée par la volonté de soigner, de guérir. Quand je travaille mes œuvres, je suis animée à la fois par la notion de raccommodage et par le fait de faire se rencontrer des matières, de les mettre ensemble. Il y a quelque chose de l’acte infirmier dans le fait d’assembler des matières différentes pour aboutir à un espace de dialogue entre des matières qui a priori ne sont pas faites pour se rencontrer, comme je le
fais actuellement entre le loufa et la laine pour aboutir à une œuvre visuelle. Il s’agit pour moi de créer une rencontre, du lien entre plusieurs matières, entre différents objets.
NC - 3. Comment vous êtes-vous formée ? Quel est la part de l’inné et de l’acquis dans votre itinéraire ?
MK - Effectivement, comme j’ai commencé à dessiner très tôt, il y a sans doute une part d’inné mais c’est une question difficile. Je retrouve cette part d’inné chez mes enfants. On nait tous avec un bagage créatif mais cela se travaille. Je n’ai pas vraiment été portée par ma famille qui ne voyait pas d’un bon œil le fait que je veuille faire l’Académie des Beaux-Arts. J’ai donc fini par faire des études d’infirmière que je ne regrette pas parce que cela m’a permis de voyager et de rencontrer des gens très intéressants. Cela m’a nourri d’une certaine manière et je capitalise aussi cette expérience dans mon travail de plasticienne. La nature m’inspire beaucoup, je lis aussi énormément et je m’intéresse
beaucoup à la géométrie et à l’architecture et cela se retrouve un peu dans mon travail sur les formes et l’équilibre.
Photo 1 - "Mazolo 2" Mixed media sur gravures 2021
Photo 2 - "Mazolo 1" Mixed media sur gravures 2021
NC - 4. Comment vivre de son art et se « mettre sur le marché » ?
MK - Commencer une carrière artistique n’est pas une chose facile. Cela m’a pris quelques années pour bien savoir ce que je veux faire, ce que je veux montrer. L’identité artistique est très importante pour pouvoir capter l’attention à un moment donné de l’histoire. J’ai choisi de raconter ce que je suis, ce que je pense, ce qui me touche. C’est ce que je montre dans mon travail. C’est un choix, soit on décide de faire du commercial, soit on est soi-même. Il y a toujours un challenge alimentaire dans les choix que l’on fait. J’ai coutume de dire que je fais à la fois du prêt-à-porter qui est plus éphémère, plus commercial et de la haute couture avec des œuvres beaucoup plus réfléchies et plus travaillées.
Une fois qu’on a trouvé son identité artistique, il est essentiel de montrer son travail et de rencontrer beaucoup de gens et de ces expériences humaines peuvent naître un certain intérêt. Et cela peut tenir à peu de choses. La première fois que j’ai présenté mon travail, c’était dans une galerie au Kenya. J’avais représenté des icones orthodoxes dans une série de collages avec du papier que j’ai géométrisé avec des formes et des couleurs très vives qui rappellent l’Afrique. Je crois que la galeriste était surprise. Elle m’a dit « very interesting » mais je n’ai plus entendu parler d’elle ! J’ai
refait ce même travail un an plus tard, en plus grand format avec de l’acrylique et un collectionneur quatari m’a acheté toutes les toiles de cette série-là. Ensuite, un journaliste a fait un article dithyrambique sur ces tableaux et petit à petit mon travail a été reconnu par un nombre plus important et cela m’a permis de me faire progressivement un nom.
NC - 5. Vous questionnez beaucoup les identités, les identités multiples, le métissage… Est-ce le fruit de votre parcours personnel ?
MK - Chez moi, il y a beaucoup de mélanges. Ma mère est roumaine, de religion orthodoxe avec du caractère et une personnalité très forte. Et mon père est congolais, très extraverti, parlant fort avec une certaine exubérance. Je suis un peu le fruit du mélange de ces deux mondes qui se rencontrent aujourd’hui ici en Belgique. Je suis issue d’une triple culture, ces deux là et celle de l’endroit où je vis.
Mon travail s’en ressent beaucoup. J’ai grandi en Roumanie, où mon père était venu faire ses études, et ensuite nous sommes rentrés en RDC. Cela n’a pas toujours été simple. Et c’est peut-être de là que me vient la volonté de se faire rencontrer les matières et de raccommoder des choses différentes pour les faire co-exister. Pour moi, l’artiste a un rôle à jouer en s’appropriant des objets et des symboles pour donner une vision plus optimiste, plus créative et plus contemporaine de l’Afrique.
Pour en savoir plus : https://www.malizakiasuwa.com/
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