Elles sont connues pour leurs voix enivrantes. Elles ont l’art de s'approprier des mots du quotidien pour les transformer en une musique chaleureuse, festive et qui invite à la réflexion. Elles chantent pour célébrer ou dénoncer, mais toujours avec aisance, volupté et un timbre de voix qui ne laisse pas indifférent. Elles, ce sont les cantatrices sénégalaises. Dans cet article nous allons à la (re)découverte de ces figures sénégalaises qui ont fait danser plus d'un. Qu'il s'agisse des divas d’antan ou de celles qui aujourd'hui portent le flambeau, ces voix percutantes ont marqué les esprits.
A la rencontre de ces cantatrices incontournables au Sénégal
" Quand on veut distinguer une chanteuse de talent, on la dénomme cantatrice"
(L. Melchissédec, Pour chanter; ce qu'il faut savoir..., 1913, p. 223).
Les cantatrices sénégalaises sont des chanteuses professionnelles qui se distinguent par leur maîtrise du chant lyrique sénégalais et leurs voix envoûtantes. Qu'il s'agisse d'animer les veillées culturelles ou d’autres manifestations comme les baptêmes ou mariages, elles ont l'art de nourrir les cœurs d’émotions. Si certaines d'entre elles se démarquent depuis l'époque coloniale au Sénégal, il a fallu attendre les indépendances pour que leur chant prenne une plus grande place tant au niveau national, qu'international.
Yandé Codou Sène, la diva éternelle
Née en 1932 dans la province du Sine-Saloum, la voix de Yandé Codou Sène fut remarquée dans son adolescence. Elle chantait lors des cérémonies traditionnelles avant de faire la rencontre du président Léopold Sédar Senghor. Connue notamment pour avoir été la griotte de ce dernier pendant plus de trente ans, la carrière de Yandé Codou Sène ne démarre pourtant qu'à ses 66 ans. En effet, c'est à cet âge qu'elle enregistre enfin son premier album dans lequel figure le morceau “Gaïnde”, un titre qui magnifie le lion, symbole de royauté et de courage au Sénégal. Le succès est immédiat. L'album qui s’intitule Night Sky in Sine Saloum a aussi pu compter sur l’artiste planétaire Youssou Ndour pour s’exporter à l'international.
Yandé Codou a aussi interprété la bande originale du film Karmen Geï de Joseph Gaï Ramaka. Elle a également posé sa voix sur des musiques de célèbres productions cinématographiques telles que Faat Kiné d’Ousmane Sembène ou Mossane de Safi Faye. En plus de Youssou Ndour, elle a également collaboré avec des chanteurs incontournables comme Baaba Maal.
La griotte de Senghor est décédée à l’âge de 78 ans, en 2010, à Gandiaye, un village situé à quelques 180 km à l’est de Dakar.
Aminata Fall, la reine du Jazz
Avec son célèbre titre "Kanfore", Aminata Fall confirma son talent de virtuose de chant et conquit le cœur des Sénégalais. Elle est l'un des monuments et figures emblématiques quand on parle de cantatrices au Sénégal. Née dans les années 1958 dans la ville de Saint Louis, Aminata Fall surnommée Garni ou encore Mahalia Jackson en raison de sa voix rauque, fut la première femme à s'enrôler dans un orchestre, le Star Jazz de Pape Samba Diop. Sa voix singulière attire l'attention et surfe à la perfection sur le blues et le jazz. Très vite et sous des influences musicales comme celles de Mahalia Jackson, Louis Amstrong, Aretha Franklin, ou Tino Rossi, elle affine son art et porte sa voix à travers tout le Sénégal et à l'international.
Aminata Fall s’est aussi essayée au cinéma. Elle participa à plusieurs films et documentaires comme Bandits cinéma de Bouna Médoune Sèye, Touki Bouki de Djibril Diop Mambéty ou encore Mambety blues de Franck Schneider. Artiste très engagée tout au long de ses 50 ans de carrière, ses chants ont parlé des rôles prépondérants des femmes et dénoncé des faits comme l'esclavage ou la mendicité des enfants.
Décédée des suites d'une longue maladie en 2002, Aminata Fall aura été une véritable figure dans la sphère culturelle du Sénégal.
Khar Mbaye Madiaga, la voix qui aiguillonne les sportifs
Khar Mbaye Madiaga est l'une des cantatrices les plus célèbres du Sénégal. Elle était surtout connue pour le chant dans les arènes de lutte nationale. Ces séances de lutte traditionnelle drainent des foules qui se déplacent pour les combats du jour, mais également pour le spectacle autour, à savoir les chants et les “bakou” (danses héroïques) des lutteurs.
Sa célèbre chanson KAARO YÀLLA régulièrement entonnée lors des combats pouvait galvaniser la foule et redonner du courage aux lutteurs. Ceux-ci déclaraient souvent qu'entendre Khar Mbaye Madiaga chanter ce titre leur donnait une force toute autre et le combat n'en demeurait que plus beau. Elle a d’ailleurs entonné ce refrain lors de la chanson “Ca kanam gaindé ndiaye” qui célébrait la participation de l’équipe de football sénégalaise à la coupe du monde de 2002, en collaboration avec le chanteur Youssou Ndour
Par ailleurs, Khar Mbaye a été pendant plusieurs années, membre de l’Ensemble lyrique traditionnel du théâtre national Daniel Sorano, un célèbre groupe de musique qui a accueilli de grands noms de la musique sénégalaise. Khar Mbaye Madiaga est aussi connue pour sa force de caractère, ses avis sans équivoque et ses vérités crues qui n'épargnent personne.
Madiodio Gningue, la parolière engagée
Madiodio Gningue commença la musique très tôt. Issue d'une famille de griots, à l'âge de sept ans, elle s’essayait déjà avec succès à de nombreuses chansons de l’époque. Elle a aussi fait partie de l’Ensemble lyrique traditionnel du théâtre Daniel Sorano du Sénégal avant de prendre sa retraite en octobre 2017.
Son titre le plus célèbre, Louyass, s'est inspiré du quotidien au Sénégal pour dénoncer la cherté de la vie et surtout celle de la location. Rester intemporelle, la chanson a su vivre au-delà des années car la situation locative au Sénégal reste toujours difficile.
En 1996 et 1998, elle est successivement faite Chevalier, puis Officier dans l’Ordre du Mérite par le Président de la République Abdou Diouf, pour sa contribution à la culture sénégalaise.
Décédé à 66 ans suite à une longue maladie, Madiodio Gningue laisse derrière elle, un héritage musical important et un grand vide dans le cœur des Sénégalais.
Soda Mama Fall, la légende vivante
Au Sénégal, lorsqu’on dit “Doudou dougou Wagane”, les sourires se dessinent sur les visages et on rend hommage à la légende qui a chanté ce chef-d'œuvre : Soda Mama Fall. Cette cantatrice qu’on ne présente plus et qui compte dans son palmarès d’autres opus tels que “Serigne Mbacké Sokhna Lô" ou encore “Bamelou Biir” est d’une beauté rare, d’une simplicité louée par plus d'un et d’une élégance absolue. On ne peut guère parler des cantatrices sénégalaises sans parler de celle qui a marqué les mélomanes avec ses envolées lyriques qui magnifient les valeurs chères au Sénégal.
Soda Mama Fall a toujours eu la fibre artistique. Que ce soit en danse, en chant ou en dessin, elle avait toujours su tirer son épingle du jeu. Ce fut d'ailleurs par la danse qu'elle entra dans le monde de la scène, au grand regret de son père qui rêvait de la voir faire de hautes études. Finalement, ce fut à la musique qu'elle accorda la priorité. Elle fut révélée aux Sénégalais d’abord à Radio Sénégal via l’émission “Ndanan bi momé” mais “Télé Variétés”, l’émission musicale devant laquelle les familles sénégalaises se réunissaient chaque samedi soir dans les années 80-90 finit de lancer sa carrière.
Soda Mama appartient à une grande lignée de griots, ce qui a sans doute contribué à son penchant naturel pour la danse et son talent inné pour le chant. Comme Madiodio Gnignue, elle a également fait carrière à l’Ensemble lyrique traditionnel du théâtre Daniel Sorano du Sénégal. Même si elle s’est éloignée de la scène musicale, elle reste toujours très appréciée des sénégalais.
Kiné Lam, la voix étoilée
De son vrai nom Adjaratou Fatou Kiné Samb, Kiné Lam est l'une des cantatrices sénégalaises qui a joué un rôle décisif dans le développement de sa carrière. En effet, à la fin des années 80, elle crée son propre groupe de musique Kàggu. Elle ouvre ainsi la voie à de nombreuses autres cantatrices qui suivront ses pas avec une production dite "tradi-moderne" par la presse sénégalaise d'alors.
Kiné Lam a débuté sa carrière en participant entre autres à des concours comme "Nuit Honda" qui lui a permis de se faire entendre et apprécier du public. C'est d'ailleurs grâce à ce concours qu'elle sera repérée par le directeur du Théâtre national Daniel Sorano d'alors, Maurice Sonar Senghor. Elle quitte l’Ensemble lyrique traditionnel quelques années plus tard pour entamer une carrière solo à pleine puissance.
Notons que Kiné Lam a commencé la chanson à 15 ans. Si certains artistes ont vu leur famille s’opposer à leur carrière de chanteur, Kiné elle, a eu la chance de compter sur le soutien sans faille des siens, d’abord de ses parents, puis de son mari Ndongo Thiam Dogo, à qui elle voue un amour inconditionnel. Celle qui est affectueusement surnommée “Kiné Lam Mame Bamba” grâce à son amour et ses chansons consacrées au guide du mouridisme, est sacrée "Meilleure chanteuse sénégalaise" à trois reprises.
Après 50 ans de carrière bien remplies, Kiné Lam peut contempler, non sans nostalgie, l'ensemble de son œuvre.
Coumba Gawlo Seck, la diva à la voix d'or
Même si les tendances portent à croire que l'ère des cantatrices semble avoir fait place à une musique dite moderne, de nombreuses figures perpétuent cet art du lyrique. Coumba Gawlo Seck est l'une d'entre elles. Ses nombreux prix, notamment le double disque d'or et le disque de platine, témoignent de son grand talent et de l'intérêt du public pour elle. Celle qu'on surnomme "la diva à la voix d'or" mixe les genres musicaux (Mbalax, pop traditionnel, acoustique) pour donner toujours plus de substance à ses mélodies.
Née le 29 janvier 1972 à Tivaouane dans la région de Thiès au Sénégal, Coumba Gawlo se fait remarquer au concours” Voix d'or du Sénégal” qu'elle remporte majestueusement avec sa chanson intitulée “Soweto”. La chanson écrite par son père en hommage à Nelson Mandela est un véritable cri contre l'apartheid. Quelques années plus tard, elle sort ses premiers albums avec le producteur sénégalais Ibrahima Sylla sous le label Syllart.
À ses côtés, se tient une génération encore plus jeune de cantatrices. Il s'agit notamment de Maïmouna Sourang dite Maïna, qui avait sorti un premier album “Macilo” en 2018, ou encore de Mariaa Sigaqui qui affirme son identité musicale avec son album “Asekaw”. Avec un timbre bien particulier, chacune d'elles réinvente la musique sénégalaise à sa façon.
En véritables ambassadrices de la culture sénégalaise, ces cantatrices ont chanté le Sénégal et l'ont fait connaître au-delà des frontières. Leurs musiques éternelles résonnent toujours aujourd'hui, inspirant de nombreux jeunes talents à reprendre ce flambeau. Si vous n'avez pas encore écouté les magnifiques voix des cantatrices sénégalaises c'est le moment d'y remédier.
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